Comment ai-je fait pour ne pas en parler jusqu'à maintenant ?
Elle est jeune, elle est valaisanne, elle a écrit un premier roman qu'elle avait proposé à plusieurs maisons d'édition, un jour elle entend un message sur son répondeur, elle croit à une farce, c'est rien moins que Gallimard qui veut publier son manuscrit…
Elle s'appelle Noëlle Revaz, son bouquin c'est Rapport aux bêtes, c'est paru à la nrf l'année dernière.
Une écriture incroyable, forte, brute, sans fioritures, qui vous rentre dans l'estomac sans prendre de gants, ça parle de tyrannie et d'humanité.
J'aime les aphorismes, les apophtegmes, bref, ces sentences lapidaires qui, en quelques mots, vous disent souvent plus qu'une thèse en trois volumes…
Un magnifique, lu il y a quelques jours chez Anne Archet: La stupidité a un certain charme; l'ignorance, aucun.
Marre de tous ces combats au nom de la croyance…
Ai relu Cioran sur ce point, je vous le livre.
Généalogie du fanatisme
En elle-même toute idée est neutre, ou devrait l’être; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démences; impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement: le passage de la logique à l’épilepsie est consommé… Ainsi naissent les idéologies, les doctrines et les farces sanglantes.
Idolâtres par instinct, nous convertissons en inconditionné les objets de nos songes et de nos intérêts. L’histoire n’est qu’un défilé de faux Absolus, une succession de temples élevés à des prétextes, un avilissement de l’esprit devant l’Improbable. Lors même qu’il s’éloigne de la religion, l’homme y demeure assujetti; s’épuisant à forger des simulacres de dieux, il les adopte ensuite fiévreusement: son besoin de fiction, de mythologie triomphe de l’évidence et du ridicule. Sa puissance d’adorer est responsable de tous ses crimes: celui qui aime indûment un dieu, contraint les autres à l’aimer, en attendant de les exterminer s’ils s’y refusent. Point d’intolérance, d’intransigeance idéologique ou de prosélytisme qui ne révèlent le fond bestial de l’enthousiasme. Que l’homme perde sa faculté d’indifférence: il devient assassin virtuel; qu’il transforme son idée en dieu: les conséquences en sont incalculables. On ne tue qu’au nom d’un dieu ou de ses contrefaçons: les excès suscités par la déesse Raison, par l’idée de nation, de classe ou de race sont parents de ceux de l’Inquisition ou de la Réforme. Les époques de ferveur excellent en exploits sanguinaires: sainte Thérèse ne pouvait qu’être contemporaine des autodafés, et Luther du massacre des paysans. Dans les crises mystiques, les gémissements des victimes sont parallèles aux gémissements de l’extase… Gibets, cachots, bagnes ne prospèrent qu’à l’ombre d’une foi, — de ce besoin de croire qui a infesté l’esprit pour jamais. Le diable paraît bien pâle auprès de celui qui dispose d’une vérité, de sa vérité. Nous sommes injustes à l’endroit des Nérons, des Tibères: ils n’inventèrent point le concept d’hérétique: ils ne furent que rêveurs dégénérés se divertissant aux massacres. Les vrais criminels sont ceux qui établissent une orthodoxie sur le plan religieux ou politique, qui distinguent entre le fidèle et le schismatique.
Lorsqu’on se refuse à admettre le caractère interchangeable des idées, le sang coule… Sous les résolutions fermes se dresse un poignard; les yeux enflammés présagent le meurtre. Jamais esprit hésitant, atteint d’hamlétisme, ne fut pernicieux: le principe du mal réside dans la tension de la volonté, dans l’inaptitude au quiétisme, dans la mégalomanie prométhéenne d’une race qui crève d’idéal, qui éclate sous ses convictions et qui, pour s’être complue à bafouer le doute et la paresse, — vices plus nobles que toutes ses vertus — s’est engagée dans une voie de perdition, dans l’histoire, dans ce mélange indécent de banalité et d’apocalypse… Les certitudes y abondent: supprimez-les, supprimez surtout leurs conséquences: vous reconstituez le paradis. Qu’est-ce que la Chute sinon la poursuite d’une vérité et l’assurance de l’avoir trouvée, la passion pour un dogme, l’établissement dans un dogme ? Le fanatisme en résulte — tare capitale qui donne à l’homme le goût de l’efficacité, de la prophétie, de la terreur, — lèpre lyrique par laquelle il contamine les âmes, les soumet, les broie ou les exalte… N’y échappent que les sceptiques (ou les fainéants et les esthètes), parce qu’ils ne proposent rien, parce que — vrais bienfaiteurs de l’humanité — ils en détruisent les partis pris et en analysent le délire. Je me sens plus en sûreté auprès d’un Pyrrhon que d’un saint Paul, pour la raison qu’une sagesse à boutades est plus douce qu’une sainteté déchaînée. Dans un esprit ardent on retrouve la bête de proie déguisée; on ne saurait trop se défendre des griffes d’un prophète… Que s’il élève la voix, fût-ce au nom du ciel, de la cité ou d’autres prétextes, éloignez-vous-en: satyre de votre solitude, il ne vous pardonne pas de vivre en deçà de ses vérités et de ses emportements; son hystérie, son bien, il veut vous le faire partager, vous l’imposer et vous défigurer. Un être possédé par une croyance et qui ne chercherait pas à la communiquer aux autres, — est un phénomène étranger à la terre, où l’obsession du salut rend la vie irrespirable. Regardez autour de vous: partout des larves qui prêchent; chaque institution traduit une mission; les mairies ont leur absolu comme les temples; l’administration, avec ses règlements, — métaphysique à l’usage des singes… Tous s’efforcent de remédier à la vie de tous: les mendiants, les incurables même y aspirent: les trottoirs du monde et les hôpitaux débordent de réformateurs. L’envie de devenir source d’événements agit sur chacun comme un désordre mental ou comme une malédiction voulue. La société, — un enfer de sauveurs ! Ce qu’y cherchait Diogène avec sa lanterne, c’était un indifferent…
Il me suffit d’entendre quelqu’un parler sincèrement d’idéal, d’avenir, de philosophie, de l’entendre dire «nous» avec une inflexion d’assurance, d’invoquer les «autres», et de s’en estimer l’interprète, — pour que je le considère mon ennemi. J’y vois un tyran manqué, un bourreau approximatif, aussi haïssable que les tyrans, que les bourreaux de grande classe. C’est que toute foi exerce une forme de terreur, d’autant plus effroyable que les «purs» en sont les agents. On se méfie des finauds, des fripons, des farceurs; pourtant on ne saurait leur imputer aucune des grandes convulsions de l’histoire; ne croyant en rien, ils ne fouillent pas vos cœurs, ni vos arrière-pensées; ils vous abandonnent à votre nonchalance, à votre désespoir ou à votre inutilité; l’humanité leur doit le peu de moments de prospérité qu’elle connut: ce sont eux qui sauvent les peuples que les fanatiques torturent et que les «idéalistes» ruinent. Sans doctrine, ils n’ont que des caprices et des intérêts, des vices accommodants, mille fois plus supportables que les ravages provoqués par le despotisme à principes; car tous les maux de la vie viennent d’une «conception de la vie». Un homme politique accompli devrait approfondir les sophistes anciens et prendre des leçons de chant; — et de corruption…
Le fanatique, lui, est incorruptible: si pour une idée il tue, il peut tout aussi bien se faire tuer pour elle; dans les deux cas, tyran ou martyr, c’est un monstre. Point d’êtres plus dangereux que ceux qui ont souffert pour une croyance: les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on n’a pas coupé la tête. Loin de diminuer l’appétit de puissance, la souffrance l’exaspère; aussi l’esprit se sent-il plus à l’aise dans la société d’un fanfaron que dans celle d’un martyr; et rien ne lui répugne tant que ce spectacle où l’on meurt pour une idée… Excédé du sublime et du carnage, il rêve d’un ennui de province à l’échelle de l’univers, dans l’histoire dont la stagnation serait telle que le doute s’y dessinerait comme un événement et l’espoir comme une calamité…
Extrait de “Précis de décomposition”, de E. M. Cioran, 1949
Me suis replongé dans des vieux Ferré: Nous deux, Les temps difficiles, Vingt ans, Les poètes, Paname et j'en passe.
J'aurais pas dû…
Nom d'un chien ce que ça peut me foutre le bourdon. Mais ce que ça peut faire de bien aussi…
Dans le fond, c'est vrai, ça… Pourquoi être anti-américain primaire, alors qu'avec quelques études, on pourrait faire un excellent anti-américain secondaire ?…
(Piqué à La Soupe est pleine, qui est – un peu – à la radio ce que les Guignols de l'info sont à la télé. En toute modestie helvétique, évidemment.)
Entendu à la radio romande ce matin: "Deux nouvelles, une bonne, une mauvaise. La bonne: les américains ont l'Irak. La mauvaise: les américains ont l'Irak."
Ainsi, on nous avait fait croire, une fois de plus, que la guerre pouvait être "propre". Les innombrables cadavres de civils, hommes, femmes et enfants, raidis le long des routes ou aux abords des maisons. et qu'on enterre à la hâte sur les trottoirs, en témoignent.
On nous avait dit que l'après-guerre allait être maîtrisé. On assiste en fait à un pillage généralisé, des commerçants doivent s'armer et tirer contre leurs concitoyens pour préserver leur maigre marchandise, sous les yeux complaisants des forces d'occupation.
L'Irak, berceau culturel de nos civilisations, lieu où fut inventée l'écriture, voir son patrimoine en passe d'être démantelé. On pille et vole les collections du musée de Bagdad, on brûle les bibliothèques.
Souvenez-vous: au soir du 11 septembre 2001, nombreux étaient ceux qui, penseurs, philosophes et intellectuels de tous poils, s'accordaient pour dire que plus rien ne serait comme avant. Qu'il y avait un monde avant le 11.09, et qu'il y aurait un monde après. Un sentiment où prenait aussi jour, chez la majorité des anonymes, le souci, l'envie, le besoin d'une plus grande solidarité à l'échelle planétaire. Sauf chez ceux qui trouvaient dans un acte d'une telle monstruosité plus qu'une explication, une justification.
Mais c'est une gigantesque fracture qui s'est ouverte. L'Empire du Bien s'est mis en place, détenteur de la seule et divine vérité… Alea jacta est.
"On vit une époque formidable", comme disait Reiser…
Ce gigantesque silence que nous cherchons désespérément à remplir de nos tumultes, de nos éructations, de nos murmures ou de nos rires, de nos ovations ou de nos huées, parce que nous avons si peur du vide…
Une chose est sûre: mon "assiduité" de bloggueur peine à trouver un second souffle. Le chaud du printemps (quoique, ces derniers trois ou quatre jours…), la perte d'un ami, la guerre au loin, tout ça…
Et par dessus le marché, méchant coup de blues… Annonce ce matin d'un nouveau décès parmi mes connaissances. "Attendu", celui-là, depuis de longues semaines, mais quand même…
La vie n'est pas gaie, ces temps. Je vais me terrer dans ma tanière.