J'aimais bien Jacques Villeret. Bon, sans plus. Disons qu'il y avait à boire et à manger, chez Villeret. Au cinéma, il fut parfois excellent. Au théâtre, je ne l'ai vu qu'une fois, dans «La Contrebasse» de Patrick Süskind. Un texte superbe qu'il n'avait pas su aborder dans sa véritable dimension. Du clown à ras la moquette. A moins que ce ne soit son metteur en scène…
Cinquante-trois ans, c'est un peu tôt pour mourir. Il était plus jeune que moi, dis donc… euh non… moins âgé. Il était «malade du foie depuis de nombreuses années», d'après les journalistes. Comme c'est joliment dit ! En étant moins «politiquement correct», on aurait pu dire qu'il buvait comme un trou «depuis de nombreuses années» et qu'il devait se trimbaler une magnifique cirrhose.
Devant la télé, avec mon fils (20 ans moins deux jours !), assistant au quart de finale Federer – Agassi (Internationaux d'Australie):
– commentaire d'Eurosports, citant un joueur que "Rodgeur" a battu récemment: Contre Federer, on peut jouer, il ne vous "tue" pas. Mais ce qu'il sait faire, il le fait à la perfection. C'est la combinaison de ses coups qui en fait quelqu'un d'unique et de si difficile à battre. – moi: Dans le fond, Federer joue au tennis comme on joue aux échecs… – mon fils: … oui, mais plus vite…
Ici, il neige (enfin, du bel hiver !). Là-bas, il pleut du méthane liquide.
A deux jours près, la sonde Cassini arrivait sous la flotte. Donc il pleut du méthane, sur Titan. Et pour le moment, il paraît que la vie n'y est pas envisageable. Mais faut pas désespérer: il n'est pas impossible qu'elle apparaisse dans 3 à 4 milliards d'années. Finalement, c'est rassurant: voilà au moins un endroit où il risque d'y en avoir (encore) d'ici là…
Il y a cinq jours, c'était le deuxième anniversaire de ces Alarmes. Ça m'a échappé. Donc sans champagne… Faudrait vraiment que je leur trouve un autre emballage, ça devient poussiéreux par là. Mais ai-je vraiment envie de trouver du temps pour me lancer dans une vaste entreprise de cosmétique, quand j'en trouve déjà si peu pour simplement les alimenter ? Et ne serait-ce pas un problème d'énergie, plutôt que d'envie ?
Muettes trois semaines, ces Alarmes. Parce que vacances, et besoin de décrocher d'un peu tout. Retour du fils des antipodes, calmes retrouvailles. Pause de Noël, famille, thé, biscuits, bougies, grasses matinées, bouquins, musique, douceurs.
Et puis l'effroi. L'effroi grandissant, et la compassion avec, jour après jour. Et l'afflux d'information, d'images, de sons, jusqu'à la nausée. Et le malaise, parce que ballotté entre faits, explications et analyses d'un côté, obscénité médiatique de l'autre. Et on regarde, happé par le malheur des gens, là-bas, et ici, et on essaie d'imaginer. Impossible d'imaginer. Et on donne des sous. Parce qu'on ne peut pas ne pas donner. Et on assiste, impuissant, à l'évocation des palmarès: celui des donateurs les plus généreux, celui des pays comptant le plus de victimes, celui des équipes de sauveteurs arrivées le plus rapidement sur place… Et on se rend compte, peu à peu, que cette avalanche de dons occulte d'autres fléaux, tout aussi terrifiants, mais plus "locaux", plus "discrets". Les bailleurs de fonds se mettraient-ils à désigner eux-mêmes les victimes ?… Et surtout, surtout: ce qui devrait être du domaine de l'intime est déversé en pâture, et nous on broute, on broute.
Alors ma mémoire fait un petit bond en arrière. Souvenez-vous, quelques jours avant Noël, c'est-à-dire il y a dix mille ans, deux otages français étaient libérés, après des mois de détention. Tarmac d'aéroport, deux familles se retrouvent enfin. Emotion, intensité, embrassades, pleurs. Les caméras fouinent, jouent des coudes. Commentaire de Corinne Portier, correspondante de la Télévision Suisse Romande à Paris: «On était 50 à 100 journalistes à assister à ce spectacle.» Sic. On le savait, mais là au moins c'est dit, sans fioritures. L'information télévisuelle est donc bien un spectacle, mesdames et messieurs les téléspectateurs. Vous êtes priés de la prendre comme on vous la donne.
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Heureusement, quelques oasis pour couvrir par moments cet angoissant tumulte. On fête nos retrouvailles en famille en allant voir le Cirque Eloize, de passage à Lausanne. Bien. Bien… Mais la dimension "rêve" ne fonctionne pas totalement. J'ai souvent vu plus envoûtant, comme la compagnie Que-Cir-Que, comme La Symphonie du Hanneton et La Veillée des abysses, deux spectacles somptueux et déroutants de James Thiérrée, petit-fils de Charlie Chaplin, voire comme Après la pluie… par la compagnie du Cirque désaccordé. Mais bon, ne chipotons pas. (Quoique, le prix des places…)
Puis on marque le passage à la nouvelle année en s'offrant L'Enlèvement au sérail de Mozart, à l'Opéra de Lausanne. Mes garçons, plus habitués aux concerts d'Iron Maiden, contrastaient quelque peu parmi cette assemblée légèrement embourgeoisée. Mais le but était atteint: ils ont méchamment pris leur pied !…
Un moment de grâce, le choc: la découverte, au détour d'une émission de radio, d'une bouleversante reprise de The times they are a-changin' de Bob Dylan, par quelqu'un que je connaissais pas jusque là, un bluesman du nom de Keb'Mo'. Allez l'écouter là, c'est la plage 6. Moi ça me scotche… Surtout par les temps qui courent…